📍 🇫🇷 Roussillon, progrès et nostalgie
Parfois, un anthropologue vise dans le mille. Lorsque le savant américain Lawrence Wylie (1909-1996) s'embarqua pour le village de Roussillon au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, personne n'aurait pu prédire le succès de son livre-monographie.
Professeur à l'Université d'Harvard, il voulait alors comprendre l'impact des transformations économiques d'après-guerre dans un pays (la France) encore dominé par la vie rurale - celui-ci étant entré plus tardivement que d'autres dans la révolution industrielle. Et Roussillon était pour lui l'endroit idéal « car il était dans la moyenne française à tous points de vue - densité de population, proportion de population urbaine, taux de natalité, choix électoraux… »
Ainsi, en 1950, il s'installe avec sa femme et ses deux enfants dans une maison de la rue Richard Casteau. Il comprend vite que le village a déjà subi un choc majeur à la fin du XIXe siècle : l'ocre synthétique bon marché en provenance des États-Unis entraîne la fermeture des carrières d'ocre naturelle de Roussillon, devenues subitement trop peu rentables pour être exploitées. La mondialisation commence à toucher ces modestes Provençaux.
Mais Wylie fait remarquer que Roussillon était "une communauté travailleuse et productive qui a finalement accepté l'inévitabilité du changement". De retour dans les années 1960 et 1970, il est impressionné par l'essor du tourisme et par les nouvelles techniques agricoles - la nostalgie semble vaincue par la nécessité de l'adaptation.
Cela dit, quelle sorte d'adaptation?
« L'unité du village a maintenant disparu, constate-t-il après une visite en 1973, car le changement annuel de la population est de 5 % environ ». Alors que la plupart des jeunes partent vers les grandes villes de la région - Apt ou Marseille - et que les Parisiens y achètent des résidences secondaires, « est-il encore possible de transmettre un patrimoine cohérent ? », se demande Wylie.
Albert Camus, romancier français, partagea la même impression dans ses carnets après une courte visite en juillet 1955: "granges éventrées, envahies d'orties. Ruée vers les villes, les usines, les plaisirs collectifs. Ici meurt lentement une civilisation autour de nous..."
L'ancienne paysannerie a bien disparu mais quel charme encore à Roussillon. Et une vie nouvelle. Une vie nouvelle qui vaut le détour, quoi qu'en disent Camus ou Wylie.
____ Sources ____
>> Albert Camus, "Carnets", 1957
>> Lawrence Wylie, « Village du Vaucluse », 1964